Accueil > Conseils/ informations > Maladie, santé, sorcellerie en Afrique

Maladie, santé, sorcellerie en Afrique

jeudi 21 mars 2019

Mon expérience de la santé en Afrique est limitée à des rencontres avec des personnes venant me voir pour soulager des douleurs ou des blessures. Je ne suis pas médecin, mes connaissances en matière de santé sont celles d’un secouriste et d’un père de famille pour ce qui est de la pratique de soin. J’ai beaucoup fréquenté l’hôpital par des stages quand j’étais étudiant, comme accompagnant d’enfants hospitalisés et aussi dans mon activité de psy notamment avec des stages en maternité.
Mon cadre de référence en matière de santé est imprégné par la dimension psychosomatique de la psychologie humaniste où nous pensons qu’il y a des liens directs entre le symptôme et l’impasse psychique dans laquelle se trouve le malade. Tout cela me rend assez proche des notions de maladies des africains quoique…
En Afrique les maladies ne sont jamais un hasard, je dirai mêmes qu’elles ne sont jamais innocentes. Il y a une chronologie de causes qui les sous-tendent ou les provoquent directement. La contamination infectieuse est la dernière envisagée après toutes les autres causes non physiologiques envisageables.
En préalable il faut dire que la croyance la plus répandue en Afrique est que toute chose est « habitée ». Il n’existe pas de lieux, de plantes, d’arbres, de maisons, ou de personnes qui ne soient « habités » par un esprit. Le mot esprit pour nous occidentaux est une élaboration intellectuelle, une capacité de raisonnement, une force spirituelle identifiée et reconnue. On ne parlerait pas de l’esprit de la terre ou de la bassine avec laquelle on va puiser l’eau, on parlera plus volontiers des « forces de l’Esprit »
Dans le monde animiste l’esprit est plutôt une énergie diffuse et omniprésente qui anime l’articulation entre les objets, les personnes présentes et absentes, les vivants et les morts. Les mondes du végétal, de l’animal, de l’humain et de la mécanique sont intimement connectés. Ce n’est une surprise pour personne que la cohabitation, qu’elle soit humaines ou avec d’autres entités est source d’alliance, de rivalité et de conflits qui peuvent se traduire par des négociations et des consensus, ou des exterminations pures et simples.
Nous savons que tout passe par le corps, ce sera donc là que se manifesteront les émergences de ce monde invisible qu’il soit orienté vers la protection comme avec les scarifications, les amulettes, les mutilations rituelles (excision, circoncision, port d’artefacts) ou la purifications comme l’ingestion de substances purificatrices. Les enfumages, les immersions ou les applications d’onguents sont là pour faire passer par voie cutanée les substances guérissantes.
Avant tous gestes de soins, je demande au « malade » quelles sont les causes de ses symptômes cette omission compromettrait la guérison. Souvent il ou elle ou un proche ont commis une faute contre les esprits qui se vengent en venant apporter le désordre dans le corps. Il va falloir réparer, faire des sacrifices (faire du sacré) c’est le plus souvent les poulets et les chèvres qui en font les frais… parfois aussi les enfants qui subissent les traitements expiatoires qui vont des purges, aux brûlures et qui leurs sont quelques fois fatales. L’organisation de la horde primitive ne supporte aucune différence ni aucun écart des traditions du groupe au risque de remettre en cause son unité. La faute de l’un risque de retomber sur l’ensemble de la communauté ce qui explique le consensus du groupe quand il s’agit de faire porter à un bouc émissaire la charge de payer pour tous.
L’écoute sera le premier outil thérapeutique avec l’espoir d’infléchir la trajectoire pour éviter qu’une victime humaine n’ait à payer. La souffrance étant là comme monnaie réparatrice il sera bon d’avoir des produits guérissant comme la teinture d’aloès, le baume du tigre ou de simples pinces à linge dont les effets sont inoffensifs mais les sensations cuisantes !
L’archaïque domine toujours le récent les ancêtres les plus vieux sont plus puissants que les morts récents et que les vivants, les vieux régissent les adultes et ces derniers sont tous puissants sur les enfants. C’est la loi du plus âgé sur le plus jeune. Certains signes extérieurs vous investissent d’emblé d’une autorité légitime. Les cheveux blancs, la barbe pour les hommes, le nombre d’enfants pour les femmes, la peau claire par rapport au noir cirage, la possession d’une montre, de lunettes ou d’un bâton etc…
Plus le soigneur sera en possession de ces attributs plus ses gestes et ses potions seront efficaces et puissantes pour combattre les esprits maléfiques qui veulent revenir parmi les vivants.
Prenons le douloureux cas des enfants accusés de sorcellerie nous pouvons les séparer en deux catégories les nouveau-nés et ceux qui ont accès à la parole. Les premiers sont accusés par des signes à la naissance, qui chez les Bariba du nord du Bénin les condamnent à une mort certaine par un exécuteur :
La naissance à huit mois (le prématuré de sept mois est toléré mais a une forte probabilité de décès) vu les difficultés pour connaître la date de conception cela ouvre à toutes les interprétations ! La présentation par le siège, la présentation par la face, la présentation par l’épaule, la naissance avec des germes de dents, la naissance avec présence de malformations visibles, la naissance entraînant la mort de la mère, toute naissance de l’enfant face contre terre (la femme accouchant traditionnellement accroupie) sont considérés comme signes de sorcellerie. De la naissance à un an, d’autres signes peuvent leurs être fatals : La poussée des incisives à huit mois, la poussée de la première dent à la mâchoire supérieure. En plus de ces critères, il y a le cas où l’enfant commence à marcher à l’âge de 7 mois.
Pour les enfants plus âgés et qui ont accès à la parole l’accusation de sorcellerie prend des formes plus complexes d’autant que les questions qui leur sont posées comme les réponses sont auto-validantes. L’enfant est pris dans un ensemble de présupposés dont les réponses sont piégées d’avance, il n’a aucune issue possible. Le plus souvent l’interrogatoire est public devant la fratrie pour le moins, devant le village réuni pour le pire. L’accusé n’a aucun défenseur, l’instruction se fait à charge. Un parent est décédé ou a eu un accident on en comprend pas bien les causes, c’est donc un « sorcier » proche qui est la cause de ce malheur… pour trouver on va chercher à « qui profite le crime ? » Souvent à un mort, un ou une rivale (la polygamie fabrique la rivalité) si l’accusé n’est pas là c’est qu’il la commandité à distance, il a transmis le pouvoir (la sorcellerie) à quelqu’un qui l’a accepté parfois délibérément parfois à son insu… en acceptant de la nourriture, un simple « bonbon » que la rivale a donné à l’enfant… il y a toujours un témoin authentique qui a vu l’enfant manger un bonbon. Le procureur qui prétend déceler le sorcier affirme que c’est dans ce bonbon que se trouvait la sorcellerie. Ou encore il pose une question imparable : « Que fait tu la nuit ? » si l’enfant répond simplement « je dors… » « C’est donc dans tes rêves que l’on vient te donner la sorcellerie » Si c’est « je me lève pour aller faire pipi » « c’est là que se fait le rendez-vous pour recevoir la sorcellerie ». Il n’y a pas d’issue l’enfant est pris dans un ensemble de croyances qui l’entourent aussi étranges et magiques les unes que les autres et qui sont véhiculées depuis sa petite enfance. Il est pris entre son besoin d’appartenir à sa famille pour survivre et sa défense. Parfois il avoue pour tenter ultimement de garder le lien et paradoxalement cela le condamne définitivement. La peur de la magie est si grande que peu de figures viennent prendre sa défense. « Quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage ! » Les ruptures de couples, les innombrables conflits dus à la polygamie créent les circonstances où les enfants sont de trop, la sorcellerie fournie à bon compte les prétextes pour s’en débarrasser.
L’exécution d’un nouveau né ou l’exorcisme brutal d’un enfant accusé de sorcellerie est vécu comme un geste de bienfait à l’égard du groupe ce qui encourage les candidats à la recherche de sorciers, ainsi se perpétue la violence.